Aux alentours de Nevski Prospect
Ailleurs on dirait l'avenue Nevski, mais ici, le terme de "perspective" est préféré. Pourquoi ? Sans doute le caractère large et linéaire de cette percée au milieu de la ville, longue de plusieurs kilomètres, qui ouvre sur un horizon lointain. Elle fut créée en 1710, gagnée sur la forêt.
Sa première partie, celle qui part de la place du Palais et de la Néva, et qui croise les trois principaux canaux de Saint-Petersbourg, est la plus agréable, la plus animée et fréquentée par les touristes, pour qui elle est aussi un repère.
J'ai eu le privilège d'avoir choisi un hébergement certes modeste - quelques chambres tranquilles deux étages au dessus d'un pub à l'irlandaise, où le petit déjeuner était servi - mais tout proche des endroits stratégiques : l'Ermitage, la Néva, et donc, cette fameuse perspective Nevski. En quelques pas je pouvais la rejoindre et en découvrir toutes les merveilles impeccablement alignées, dont le style va du classique, du baroque à l'Art Nouveau. C'est ici que les premiers hôtels particuliers de la noblesse russe ont été construits - palais Stroganoff, Anitchkov, Belosselski - et les immeubles d'affaires au XIXème siècle, surtout le bâtiment Singer, dont je reparlerai.
Les églises de tous les cultes se sont invitées ici, d'abord la cathédrale Notre Dame de Kazan où le culte est encore célébré : elle est donc libre d'accès - chaque soir 18 heures, on peut assister à l'office et entendre les choeurs de chants religieux orthodoxes, magnifiques, en live dans un décor à la fois fastueux et recueilli.
En face, on trouve une église arménienne, et une catholique, Sainte Catherine mais aussi de nombreux restaurants, cafés, boutiques dont l'incroyable galerie Gostiny, et son look désuet qui semble sorti d'"Au bonheur des dames".
Cependant la plupart des enseignes internationales se retrouvent ici, depuis la fin de l'URSS ; Zara, H&M, sont hébergés dans les plus beaux immeubles Art Nouveau, comme un peu partout en Europe et ailleurs... On peut le regretter, mais ainsi va la mondialisation. Très souvent, on croise des canaux, qui apportent une note de nature et de romantisme au paysage urbain. Des groupes musicaux, des boutiques de fleurs en plein air, et bien sur de souvenirs, en occupent les bords.
Chacun a son emblème : sur le Griboïdova, l'incroyagle église Saint Sauveur sur le sang versé dresse ses bulbes colorés : à proximité, le tsar Alexandre II fut assassiné en 1881 et cette église fut construite en expiation. Aux entrées du canal Fontanka, quatre superbes statues représentant des chevaux sauvages et leurs dresseurs.
Je ne peux pas passer sous silence la beauté de l'immeuble Singer (oui, celui des machines à coudre, venu commercer avec la Russie peu avant la révolution !) Son dôme oblong orné de statues féminines domine tous les autres bâtiments de l'avenue, grâce à un habile subterfuge : aucune construction ne devait sur l'avenue dépasser 23 mètres 50, la hauteur de l'Ermitage. Mais la tourelle et son dôme ont su défier le réglement et on les voit de loin.
Les façades font l'angle avec le canal Griboïdova, toutes en verre, statues et figures de pierre ou de bronze doré, très gracieuses. Le rez de chaussée est occupée par une grande librairie à l'ancienne, très fréquentée et débordant de trésors : la plupart des livres sont richement enluminés et dorés, même en édition populaire. On y trouve aussi des cadeaux, et surtout ces livres de coloriage pour adulte, d'un style différent, une excellente idée de "souvenir".
Ce n'est pas tout, à l'étage, se tient le Café Singer, un salon de thé et de restauration légère, dont le chocolat chaud est réputé ! Je me devais de comparer ce breuvage avec celui du Florian à Venise et de la Maison Municipale de Prague, et je dois dire qu'il les surpassait largement!
Heureusement installée près de la fenêtre en demi cercle qui donne sur la cathédrale et son jardin, je me vis servir une grande tasse pleine d'un chocolat très épais et très noir, tel qu'on le boit en Espagne parait-il, mais pour moi c'était une nouveauté enivrante, surtout que je sortais de l'Ermintage et que je n'avais rien mangé depuis le matin (crêpe à la viande et gruau sucré...). Je vous laisse en juger, j'ajoute que le décor et le costume des serveurs semblait sorti du 19ème siècle, bourgeois et raffiné.
Cathédrale Notre Dame de Kazan, vue de la salle du café Singer, avec son petit air de Saint Pierre de Rome...
Rien à voir avec l'autre "cantine" que j'ai fini par découvrir pour mes repas du soir, une chaine de fast food à la russe où tous les plats sont locaux et cuisinés derrière le comptoir : soupes, crêpes fourrées, pirojis, salades surtout mais une foule d'autres chose dont les images et les prix sont affichés en gros, comme au Mac do, mais seulement en russe. N'y comprenant rien malgré les photos, j'ai fini par demander une carte en anglais, qu'une employée m'a sortie de dessous le comptoir, et j'ai pris mon temps pour choisir parmi tous ces mets inconnus.
La chaine se nomme "Teremok" et on en trouve plusieurs en ville et en banlieue.
Cet endroit est agréable, fréquenté uniquement par des russes de tous âges, mais jamais bondé. Le décor vintage des années 80 est basé sur l'orange vif, les affiches colorées, les chaises "bistrot" avec une musique de fond joyeuse ou sirupeuse : des chansons russes contemporaines très dépaysantes!
Une très bonne adresse à recommander à tous les amateurs de simplicité et de "couleur locale" ; tout était délicieux et bon marché, j'ai voulu gouter le bortch, moi qui déteste les betteraves rouges à cause de leur couleur, eh bien j'ai été agréablement surprise!
Bortsch, crêpe fourrée viande et fromage, raviolis russes
C'est qu'il n'est pas facile de se nourrir dans le centre ville, comme dans toutes les capitales du genre, à part les restaurants pour touristes et les kiosques à hot dogs un peu partout dans les parcs. J'ai fini par trouver une boulangerie française (pas pour moi!) et une épicerie d'un autre âge où j'allais acheter mes bouteilles d'eau et un chausson à la viande, ainsi que de très bonnes clémentines, dans une petite rue adjacente à celle de mon hôtel. On y trouvait aussi des cigarettes (à un prix ridicule) mais pratiquement inaccessible : ici, pays de fumeurs et de buveurs, alcool et surtout cigarettes semblent être victimes aujourd'hui d'une étrange prohibition... Depuis longtemps des mesures drastiques ont été prises, point de "carotte" bien visibles, point d'abondance de marques, et cela, même au duty freee de l'aéroport : il faut demander les cartouches après avoir consulté une liste, incroyable!
Pour terminer sur une note plus romantique, j'ai bien aimé ces bouquets de muguet, très en retard, vendus sur le trottoir au milieu du mois de juin sous un petit soleil intermittent...
Et que dire de la beauté des soirs ?