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Les voyages d'Ouralie
30 janvier 2015

Auschwitz Birkenau, la mort à plein régime

Pendant la préparation de mon voyage à Cracovie, j'ai découvert dans le Routard, que les anciens camps de concentration d'Auschwitz Birkenau n'en étaient distants que de 70 kilomètres, et qu'il était possible donc, de faire l'aller et retour dans la journée.

Impossible d'y échapper .. un car partait de la gare routière plusieurs fois par jour, et les camps, transformés en « musée » étaient en accès libre sept jours sur sept.

Il a fait un temps magnifique sur la Pologne en ce mois de juillet 2006, tous les jours un ciel bleu a fait écrin aux splendeurs baroques et médiévales de la ville, épargnée par les bombardements de 1944.

La journée passée à Auschwitz n'a pas fait exception. Il me fut difficile d'imaginer les rigueurs sinistres de l'hiver continental, ajoutant aux souffrances des prisonniers, je ne sais pas d'ailleurs si j'aurais trouvé le courage de m'y rendre en janvier ..

Le trajet dura près de deux heures, le car s'arrêtait souvent dans de petits villages, chargeant et déchargeant des paysans portant leurs paniers, à travers une campagne riante, et m'a t il semblée, prospère.

Enfin le car s'arrête devant le « musée ». Quelques touristes, parfois isolés comme moi, descendent.

 

Arbeit

Première surprise, au cœur d'un cadre verdoyant, voici le tellement célèbre portail Art Nouveau, surmonté de l'inscription « Arbeit macht Frei », que je ne m'attendais pas à voir ici – je saurai plus tard que cette inscription était présente à l'entrée de tous les camps -

La maxime est située pratiquement à hauteur d'homme, ce sera ma première photo, avant de pénétrer dans l'enceinte du camp d'Auchwitz.

A travers les arbres, j'aperçois des alignements de bâtiments identiques, en brique rouge, et nous entrons dans le premier, comme une pancarte en plusieurs langues nous y invite.

Le grand hall est semblable à celui d'un musée en effet, avec de nombreux affichages pédagogiques, des chevalets pour la documentation à emporter, plusieurs guichets où l'on peut réserver une visite guidée dans la langue de son choix.

La visite libre est totalement gratuite, des panneaux demandent aux visiteurs d'avoir une tenue correcte, et d’être silencieux.

Un peu déroutée mais mise en confiance par cette banalité, je m'aventure dans les allées du premier camp, qui à première vue n'a rien d'un camp de la mort : les bâtiments – une ancienne caserne de l'armée polonaise – sont coquettement entretenus et bordés de grands peupliers qui ondulent doucement au gré de la brise estivale. Comme les gens respectent les consignes de silence, on entend les oiseaux chanter dans les branchages.

Auschwitz peupliers

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La plupart des blocks servent d'expositions, chacun voués à un thème bien précis : un pour chaque pays d'Europe ayant eu ici des prisonniers, d'autres plus transversaux, et les 5 et 6 consacrés à de surréalistes expositions de béquilles, prothèses, valises, jouets, manteaux, chapeaux … entassés derrière des vitres, poignants témoignages du dénuement, de l'abandon de tout espoir. Un blasphème me traverse l'esprit : cela évoque quelque composition d'art contemporain, du genre le plus absurde et le plus prétentieux.

Une pièce du bâtiment 20 (la France) est tapissée de centaines de photos d'enfants disparus ici, souriants, innocents, ignorants de leur sort. A l'étage, évocations - propagande et journaux d'époques - des actes de résistance, de la vie sous l'occupation, des rafles, des enfants d'Izieu ..

 

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J'entre et je sors de ces bâtiments dont on ignore l'aspect qu'ils avaient entre 1942 et 1944, même si des images hagardes de prisonniers en pyjamas rayés tentent de nous le faire comprendre, leurs regards vides et avides nous poursuivent dans le couloir où ils sont exposés.

Dehors, l'été est toujours aussi radieux, assise sur un des perrons, je sirote ma bouteille d'eau et grignote le bagel emporté pour la route.

Parfois la réalité brutale s'impose : un mur d'exécution encore criblé de balles, une potence, et les deux premiers fours crématoires d'essai, dans une sinistre cave : des rails mènent jusqu'aux bouches jumelles des fours, horriblement semblables à des fours à pain, même pas plus grands. Tous ces équipements sinistres comme des fausses notes dans ce décor agreste.

Auschwitz crématoire

Auschwitz était un camp de travail, pas d'extermination, alors que Birkenau, trois kilomètres plus loin oui, c'était le bout de l'enfer.

Une navette gratuite est mise à disposition des visiteurs à la sortie du premier camp.

 En descendant quelques instants plus tard, je tombe sur une autre vision mythique : ce porche en brique flanqué de deux ailes, sous lequel passent des rails de chemin de fer. Avec sa large ouverture et ses deux fenêtres aveugles au dessus – des yeux morts - il ressemble à quelque gueule monstrueuse prête à dévorer ses proies, aspirant les rails de cette gare très privée pour les faire passer dans son néant.

Choc visuel de cette image qui a fait le tour du monde, la voir sur un écran c'est une chose, se trouver en face, et devoir passer dessous, en est une autre.

Birkenau le porche

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Le cœur battant d'émotion je m'avance jusqu'à entrer – par la grande porte ? Par une autre plus discrète ? Je ne m'en souviens plus. A partir de là, je vais me trouver dans une sorte de sidération, qui va gommer certains détails et insister sur d'autres jusqu'à l'écoeurement, j'ai l'impression de tourner au ralenti, à peine si je perçois la présence des autres visiteurs, tellement ce que je vois me stupéfie. L'expression "morne plaine" me vient à l'idée à la vue de cette étendue désolée, sans espoir.

 

Birkenau les baraques

Birkenau le camp

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D'abord une triple rangée de barbelés, hauts de quatre mètres environ, et une fois passés, devant moi la voie ferrée qui file vers un bois, tout au fond là bas, à gauche des centaines de cheminées en brique avec à leur pied, un petit tas de ruines. Il me faudra du temps pour comprendre qu'il s'agit de longues baraques de bois sombre, dont certaines sont debout, d'autres en ruines. Mais toutes on gardé leur cheminée, car oui, Mesdames et Messieurs, les nazis chauffaient ces cabanes aux planches disjointes pour garder en vie leurs esclaves, ma mère aurait dit qu'ils « chauffaient la cour » tant l'isolation était dérisoire!

Birkenau les dortoirs

Je sais qu'il y en a trois cent. Celles qui sont vers l'entrée sont accessibles à la visite, portes battantes des deux côtés.

A gauche, ce sont les baraques des femmes, moins nombreuses et plus petites, et toutes en dur.

De proche en proche s'élèvent des miradors pyramidaux, implacables.

 Je commence mon exploration craintive par les baraques des hommes, longues d'une vingtaine de mètres. Une odeur inconnue, profonde et répugnante achève de me démonter : vieux bois moisi, haleine fétide de la mort, urine piquante, comment a t elle pu résister aux années ? Au milieu de l'entrée, un imposant mais rudimentaire four en brique, d'où partent deux cheminées : l'une verticale qui troue la charpente, l'autre horizontale, plutôt astucieuse, traverse la baraque en son milieu, chauffant au passage une double rangée de châlits sans lumière. Enfin, sûrement pas tous les jours ..

Sur le four, un chat pelé, noir comme l'enfer, s'est endormi. Malgré ma crainte, je me hasarde à le réveiller pour vérifier qu'il est bien réel. Il se met debout, s'étire avec un air mauvais, ses yeux jaunes étincelants de rancune. Le contact de son poil terne est répugnant, ce chat est sûrement une âme damnée, ou bien il a été mis là tout exprès pour en rajouter dans l'horreur, si besoin était.

Birkenau le chat

La présence étrange de cet animal ne cessera jamais de me hanter.

Soudain oppressée par la solitude du lieu, je ressors et me dirige vers la voie ferrée, écrasée de chaleur et de lumière, qui s'éloigne vers les bois, tout au fond. Quelques personnes font de même, mais à bonne distance.

J'ai oublié le temps que j'ai mis pour arriver au bout, sur la plateforme de tri. Je me souviens que l'odeur me poursuivait, aussi forte que dans les baraques, ce qui maintenant m'étonne : ai je été victime depuis le début, d'une sorte d 'hallucination olfactive ? Ai je été seule à sentir cette odeur inoubliable autant qu'inconnue ?

Et puis les rails s'arrêtent, au bord d'une sorte de quai noyé dans les herbes folles. C'est là qu'on décidait de la vie et de la mort des gens. Les femmes avec enfants, les vieux, les malades, étaient vite repérés et expédiés dans la forêt voisine pour y être invités à se dévêtir « pour la douche » et conduit dans les chambres à gaz, puis dans les fours crématoires.

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Fatiguée par la longue marche sous le soleil de midi, je m'assois à la lisière de la forêt, sous l'ombre des peupliers, des chênes, des sapins, comme le font d 'autres visiteurs, autant pour se reposer que pour se recueillir.

L'impression d'être dans un monde parallèle s'accentue, je me sens vraiment dans un état second où les émotions se ralentissent faute de vouloir exploser.

Mes perceptions sont différentes aussi : pourquoi je n'entends ici aucun chant d'oiseau, alors qu'il y a des arbres tout comme dans l'autre camp ? Un silence de mort pèse sur le cadre pourtant riant, mais je sens comme des présences bruissantes qui se glissent entre les arbres, des âmes en peine .. Ce lieu serait il maudit, hanté ? Je m'oblige à me secouer, me relever et je me dirige vers les ruines des chambres à gaz et des fours crématoires, en pleine forêt que les SS ont tenté de brûler avant leur départ. Elles me semblent étonnamment petites pour l'usage intensif qu'on en faisait. D'ailleurs à la fin, les corps étaient sommairement brûlés sur des bûchers, faute de place.

La forêt s'épaissit, s'assombrit, bientôt il m'est impossible d'aller plus loin, jusqu'à l'imposant mémorial en marbre qu'on a dressé dans une clairière. L'angoisse m'étreint, je dois rebrousser chemin sans plus réfléchir, me retrouver au soleil, remonter la voie ferrée, je dois obliquer vers la droite pour aller voir les petites maisons où l'on mettait les femmes qui pouvaient travailler.

Birkenau esplanade des martyrs

L'intérêt historique reprend ses droits et apaise mon angoisse, je m'efforce de lire les panneaux en anglais, de marcher plus vite, me glissant dans plusieurs maisons, qui ne contenaient qu'une dizaine de prisonnières.

Birkenau mirador

Revenue au point de départ, je retourne dans les baraquements sinistres que j'ai vus en premier. L'odeur est toujours là, mais le chat est parti. Une des baraques est uniquement consacrée aux latrines : une série de trous percés sur de longues planches à moitié pourries.

C'est la dernière vision que j'aurai de cet enfer sur terre.

 Je ne sais plus où est l'arrêt du car qui me ramènera vers cette ville pimpante et sereine de la Pologne du sud, Cracovie.

Me renseigner auprès d'un gardien du musée sera le premier contact humain après cette expérience hors du temps et de l'entendement.

 

Auschwitz enfants

 

 

 

 

 

 

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